La fermeture du quartier entourant le palais présidentiel occasionna d’énormes bouchons dans Vientiane, et obligea le taxi collectif qui nous menait à la gare routière, à rattraper le bus pour Thakhek car celui-ci était déjà parti. C’est à coup de klaxon que le chauffeur fit rabattre sur le bas côté de la chaussée le VIP bus, nous permettant d’effectuer le transfert de véhicule en un temps record, tels des soldats à l’entrainement. Dans ce type de transport en commun, il y a toujours parmi l’équipage des mécaniciens qui assurent les réparations d’urgence en cas de panne. Sur le chemin, le nôtre s’arrêtera 4 fois : trois fois pour alimenter en eau le radiateur en surchauffe, et une fois pour achat de pièces détachées. Les VIP bus sont plutôt confortables, sauf pour le client qui se retrouve sur un des sièges sous lesquels ont été amassés trop de cartons, obligeant à voyager les pieds à hauteur des fesses, ou pour celui qui ayant pris le bus en cours de route, se retrouvera assis dans le couloir sur un tabouret en plastique par manque de place.

Après une nuit à Thakhek, nous laissons les bagages à l’hôtel et prenons dans un petit sac à dos le strict nécessaire pour accomplir à moto une boucle de 540 km. La plupart des loueurs de 2 roues fournissent la photocopie d’une carte qui indique les positions des grottes, points d’eau et cascades, ainsi que celles de quelques guesthouse où passer la nuit. Nous décidons de la parcourir en 4 jours : une nuit près d’une forêt inondée suite à la construction d’un barrage, et deux nuits à Konglor pour mieux profiter de la visite de la cave. Dès notre premier arrêt sur la boucle, nous faisons connaissance avec Laura et Cyril qui eux aussi sont venus se rafraîchir dans les eaux douces de Tha Falang, avant d’enchainer les kilomètres. Nous effectuerons la totalité du trajet ensemble. Nous atteignons à la tombée de la nuit notre premier point de chute et nous y passerons une très bonne soirée autour d’un succulent barbecue. Les couchages fatigués des sommaires bungalows, nous aident à nous réveiller à l’aube pour assister au lever de soleil sur le lac à l’ambiance apocalyptique, situé près de la guesthouse.

Tout au long de la boucle de Thakhek les paysages se succèdent et ne se ressemblent pas. Des routes sillonnantes à travers la jungle de montagne, aux longs plateaux entourés de falaises abruptes dont les sommets usés par l’érosion des pluies sont tranchants comme des lames de couteaux. Une mention spéciale pour la portion de route qui mène à Konglor : une longue et plate ligne droite de quarante kilomètres qui s’enfonce dans un canyon se resserrant dans une symétrie quasi parfaite. En bout de piste, l’accès à l’une des plus belles grottes du Laos. Nous regretterons de n’être restés que deux nuits sur place car il règne dans les environs une véritable ambiance de bout du monde. La visite de la grotte de Konglor se fait en bateau. D’une longueur de huit kilomètres, il faut environ deux heures pour effectuer l’aller retour sur la rivière qui est à l’origine de ce spectacle. Pendant la saison des pluies la traversée est parfois impossible lorsque celle-ci est en crue. Au départ, on a l’impression de pénétrer les entrailles de la terre, l’entrée de la grotte ressemblant à une énorme bouche béante dont on ne peut distinguer le fond, et qui ne demande qu’à vous engloutir. A l’intérieur, l’obscurité est totale et seules les lumières des lampes frontales, qui peuvent être fournies, permettent de contempler la beauté du lieu. La barque motorisée qui embarque un maximum de trois personnes, passe de chambres en chambres dont les hauteurs et largeurs varient parfois considérablement. Les plus hautes atteignent les cinquantes mètres lorsque la largeur de la  rivière oscille entre celle d’un cours d’eau et celle d’une piscine olympique. Par moment, certains rapides qui ne sont franchissables qu’à pied obligent au débarquement. Une halte en cours de chemin permet d’observer dans la seule chambre éclairée par des spots de couleurs, des stalactites, stalagmites et des colonnes. Une fois la première traversée accomplie, le bateau remonte encore un peu la rivière pour faire son demi-tour, et laisser le temps aux passagers de reprendre leur souffle sur une petite aire de repos. Sur le retour notre batelier fut pris d’une soudaine envie de vitesse. Il nous démontra ses talents de pilote en frôlant de quelques centimètres les rochers qui émergeaient par endroit, surfant sur les rapides au détriment de la coque en bois de la petite embarcation, se permettant même de dépasser quelques collègues à la traine. Le tout à l’aide d’une vieille lampe frontale dont le rayon fin, et donc plus précis, réclamait un changement de piles. Faisant confiance à son expérience et sa connaissance du terrain, je fis tout de même l’assistant éclairage pendant que Marie continuait son exploration des plafonds. Le capitaine du navire voulait sûrement enchaîner au plus vite les rotations afin de rentabiliser au mieux sa journée.

Pour nous remettre des centaines de kilomètres parcourus, nous décidons de rester trois nuits à Thakhek avant de reprendre la route en direction de Paksé, où une autre boucle en moto nous attend. Nous avons trouvé une belle chambre dans un coin calme de la ville avec une literie confortable : un matelas souple et des oreillers moelleux, ce qui est rarement le cas au Laos. En effet la fermeté des lits est telle que l’on a souvent la sensation de dormir sur une planche en bois, la tête posée sur une brique, d’où un sommeil haché avec un réveil douloureux. De plus dans le petit centre-ville, on trouve autour de la place principale quelques stands de soupes chinoises au rapport qualité-prix imbattable, ainsi qu’un café qui sert de délicieux fondants au chocolat et cake à la banane. Parfait pour raviver nos papilles après une overdose de riz fris. Cette combinaison de confort et gastronomie, associée à une magnifique ballade en moto, nous laissera un très bon souvenir de la ville et ses environs.

Quand on a un petit creux dans les VIP bus, il n’est pas nécessaire de descendre du véhicule lorsque celui-ci s’arrête dans les gares routières, qui constituent des étapes sur les longs trajets. Les vendeuses des petites échoppes présentes sur place envahissent alors l’habitacle, exhibant aux voyageurs leurs bouquets de brochettes de poulets écartelés, de foies de volaille, d’œufs de poussins non éclos, ainsi que leurs sachets de fruits prédécoupés. Ayant un doute sur la date de production des appétissantes enfilades de viande, notre choix se portera sur une très croquante papaye accompagnée d’un petit sachet de sucre brun épicé.

La largeur du Mékong à Paksé est impressionnante. Le long pont qui mène au cœur de la cité permet d’observer la surpuissance du fleuve, qui continue à s’élargir en aval pour donner naissance aux 4000 îles (Si Phan Don). A peine les bagages déposés à l’hôtel nous partons en quête d’un 2 roues afin de réaliser, dès le lendemain, notre deuxième boucle. Nous retrouvons chez le premier loueur des têtes connues comme à plusieurs reprises lors de notre périple à travers le Laos. Il est toujours agréable d’échanger pendant ses rencontres nos expériences réciproques sur la découverte du pays. Chacun suivant à peu de détail près et à son rythme, le même itinéraire en Asie du sud-est. Pour louer une moto chez miss Noy, l’adresse la plus conseillée en ville, il faut s’inscrire sur une liste d’attente car les demandes sont nombreuses. Ceci étant sûrement dû à la qualité des véhicules proposés. Nous décidons d’aller finalement chez le même loueur qu’à Thakhek, qui possède également un magasin à Paksé. De plus nous sommes en possession d’une publicité de l’agence sur laquelle à été inscrit « VIP », nous promettant une remise sur la location. Ce petit gribouillis nous entraina dans une folle soirée quand le staff, après voir essayé la moto, nous proposa de les rejoindre pour l’apéritif qu’ils avaient déjà bien entamé avec un Coréen, ami du patron. La soirée se terminera en boite de nuit avec l’équipe, 2 ukrainiens et un couple de hollandais qui comme nous étaient juste venus louer une moto.

C’est donc avec une bonne barre au crâne que nous entamons la boucle de Paksé. Nous roulons sans nous arrêter faisant fi des cascades et autres points d’intérêt, pressés de reposer nos organismes fatigués par les abus de la veille. Notre destination Tad Lo est un minuscule village logé en contre bas de jolies chutes d’eaux, parfait pour se poser pendant 2 jours dans un bungalow en bambou en bord de rivière. Cette charmante bourgade et ses alentours seront notre unique étape sur la boucle car le temps de plus en plus menaçant nous contraint d’écourter celle-ci. Avant de reprendre la route, nous visitons la plantation de café du Capitaine Hook et la communauté animiste dont il fait partie. Leur connaissance de la nature est stupéfiante : des plantes aux propriétés médicinales, aux insectes comme les fourmis rouges dont ils utilisent l’acide formique comme anti-moustique, quand ils ne les consomment pas. Les rites et traditions de cette communauté sont aussi surprenants comme l’obligation aux femmes de quitter le village pour s’isoler en forêt lors des accouchements, ou encore les enfants qui fument à l’aide d’une pipe à eau du tabac dés l’âge de deux ans. Direction ensuite Champassak à une trentaine de kilomètre de Paksé de l’autre côté du Mékong. Là-bas, il est possible de visiter le Wat Phou classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Le site datant de l’empire Khmer donne un avant goût des temples d’Angkor.

Pour clore notre voyage à travers le Laos, nous faisons route vers Si Phan Don afin d’explorer les îles les plus animées de l’archipel fluvial, situé juste au dessus de la frontière cambodgienne. A cet endroit, le Mékong large de 10 kilomètres est stoppé par les impressionnantes chutes de Khone qui créent des rapides, rendant toute navigation impossible vers le pays voisin. Pour nous rendre sur place nous attrapons un petit songthaew rempli à craqué. Nous peinons à trouver de la place sur les banquettes collectives, si rapprochées que les genoux des voyageurs sont incrustés les uns dans les autres, façon fermeture éclair. Je trouve refuge sur l’extrémité d’une des banquettes les pieds sur une cage contenant poules et petit cochon, tandis que Marie rejoint la chaine humaine en face d’une passagère amatrice de criquets non fris, dont les ailes et pattes tomberont sur ses genoux. Sur la route d’autres locaux embarquèrent rajoutant inconfort et convivialité au mémorable trajet. Même les vendeuses de brochettes réussirent à se glisser dans l’habitacle pour vendre leurs marchandises lors d’une courte pause. Scènes hallucinantes … mais tellement authentiques et dépaysantes.

Sur les îles de Don Khone et Don Det pas grand-chose à faire, si ce n’est que vadrouiller à vélo sur les chemins de terres et se laisser aller en admirant dans une ambiance décontractée les beautés naturelles qu’offre l’archipel des 4000 îles (quelques centaines en réalité). Nous y avons retrouvé Chloé, la très sympathique nantaise rencontrée quelques jours auparavant à Paksé, avec qui nous avons savouré nos derniers instants au Laos, notre énorme coup de cœur du sud-est asiatique.